PRINCIPES DE LA THÉORIE DES
INTELLIGIBLES PAR PORPHYRE
SUIVIS DE FRAGMENTS D'AMMONIUS ET DE
NUMÉNIUS
TABLEAU Indiquant la concordance des numéros que
portent les 44 paragraphes DES PRINCIPES DE LA THÉORIE DES
INTELLIGIBLES DANS LA TRADUCTION FRANÇAISE, DANS L'ÉDITION DE CREUZER ET
DANS CELLE D'HOLSTENIUS.
Trad. fr. |
Creuzer. |
Holstenius. |
I |
XXXIV |
XXXIV |
Il |
VIII |
VIII |
III |
IX |
IX |
IV |
XXVII |
XXVIII |
V |
XX |
XX |
VI |
XVIII |
XVIII |
VII |
XXIV |
XXV |
VIII |
XIX |
XIX |
IX |
Vll |
VII |
X |
XXI |
XXII |
XI |
XXII |
XXIII |
XII |
X |
X |
Xlll |
XII |
XII |
XIV |
XXVI |
XXVII |
XV |
I |
I |
XVI |
Il |
II |
XVII |
III |
III |
XVIII |
IV |
IV |
XIX |
V |
V |
XX |
VI |
VI |
XXI |
XXVIII |
XXIX |
XXII |
XXIX |
XXX |
XXIII |
XXXII |
XXXIII |
XXIV |
XVII |
XVII |
XXV |
XVI |
XVI |
XXVI |
XI |
XI |
XXVII |
XXV |
XXVI |
XXVIII |
XIV |
XIV |
XXIX |
Xlll |
XIII |
XXX |
XXX |
XXXI |
XXXI |
XLII |
XLIII |
XXXII |
XLIV |
XLV |
XXXIII |
XV |
XV |
XXXIV |
XXIII |
XXIV |
XXXV |
XLIV |
XLIV |
XXXVI |
XXXV |
XXXV |
XXXVII |
XXXVI |
XXXVII |
XXXVIII |
XXXVII |
XXXVIII |
XXXIX |
XXXIX |
XL |
XL |
XL |
XLI |
XLI |
XXXIII |
XXXVI |
XLII |
XXXVIII |
XXIX |
XLIII |
XXXI |
XXXII |
XLIV |
XLI |
XLII |
AVERTISSEMENT.
Parmi les documents dont la lecture est
propre à faciliter l'étude des Ennéades de Plotin et à leur servir
d'introduction, un des plus utiles est l'écrit intitulé Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ
νοητά (01) (Sententiae ad intelligibilia ducentes),
Principes de ta théorie des intelligibles. C'est, comme nous
l'expliquons ci-dessous, un ensemble de morceaux qui ont été composés par
Porphyre pour résumer ou pour commenter les livres les plus importants des
Ennéades. • Les Sentences (ἀφορμαὶ), dit M. Ravaisson (02), dans lesquelles est renfermé presque tout ce que nous
savons de la doctrine de Porphyre sur la nature des principes, présentent
en abrégé celle des Ennéades; seulement il y règne, au lieu de
l'obscurité ordinaire à Plotin, cette heureuse clarté qu'on remarquait
dans tous les ouvrages de Porphyre, et les principes fondamentaux de la
doctrine Néo-platonicienne y sont mis dans une lumière toute
nouvelle.. En 1548, P. Victorius fit paraître pour la première fois à
Florence, à la suite du traité de Porphyre Sur l'Abstinence des
viandes, et sous le titre Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ νοητά, le texte grec de 28
paragraphes de cet ouvrage. Marsile Ficin les avait précédemment traduits
en latin sous ce titre : De occasionibus sive causis ad intelligibilia
ducentibus (Ficini opera, II, 870, Parisiis, 1641, f°). Ces 28
paragraphes furent dans la suite publiés plusieurs fois, mais sans rien
gagner en étendue, jusqu'à Holstenius, qui fit paraître, en 1630, une
édition beaucoup plus complète de l'écrit de Porphyre dans un volume
intitulé:
Porphyrii philosophi liber De vita
Pythagorae, ejusdem Sententiae ad intelligibilia ducentes, De Antro
nympharum quod in Odyssea describitur. Lucas Holstenius Hamburgensis
latine vertit. Dissertationem De vita et scriptis Porphyrii (03), et ad vitam Pythagorae; observationes adjecit. Ad
Illustrissimum et Reverendissimum S. R. E. Card. Franciscum Barberinum.
Romae. Typis Vaticanis. MDCXXX.
Dans ce volume, les Principes de la
théorie des intelligibles sont divisés en trois parties. La Ière (p.
59-79) comprend 33 paragraphes, I-XX, XII-XXXIII, XXXVI. Sur ces 33
paragraphes, il y en a 5 d'ajoutés par Holstenius à ceux qu'on connaissait
avant lui, savoir IX, XIV, XV, XXXIII, XXXVI, qu'il a tirés de Stobée (04). La 2e partie (p. 80-98) contient 6 paragraphes, XXXIV,
XXXV, XXXVII-XL, tirés d'un manuscrit du Vatican (Secunda pars, quae
nunc primum ex Vaticano codice prodit). La 3e partie (p. 136-147)
contient 5 paragraphes, XLI-XLV, tirés d'un autre manuscrit du Vatican
(Alia appendix eruta ex M. S. codice, quem Cl. V. Aloysius Lolinus
Bellunensis Episcopus Bibtiothecae Vaticanae legavit). Il y a en tout
44 paragraphes (et non 45 comme on pourrait le croire en lisant la
traduction d'Holstenius qui, en numérotant les paragraphes, a omis le
numéro XXI). Les additions ainsi faites par Holstenius sont très
importantes; elles comprennent les morceaux les plus étendus et les plus
précieux. Depuis Holstenius, les Principes de la théorie des
intelligibles, bien que réimprimés en 1855 à Cambridge, n'ont été
l'objet d'aucun travail particulier jusqu'à M. Fr. Creuzer, qui les a
publiés en tête de l'édition des Ennéades qui a paru chez M. A.-F.
Didot à Paris, en 1855. Il a amélioré le texte grec en consultant
l'édition de Cambridge et en se servant des connaissances spéciales que
lui donnait son précédent travail sur Plotin. Malheureusement, et que cela
soit dit sans manquer au respect que nous devons à cet illustre savant, il
a encore laissé beaucoup à faire à ses successeurs. Il est loin d'avoir
tiré parti de toutes les ressources qu'offrait l'étude du texte de Plotin
pour corriger les imperfections des manuscrits. La ponctuation est restée
vicieuse dans plusieurs endroits. La traduction latine n'a pas été mise en
harmonie avec les améliorations qu'a reçues le texte grec, et on y
retrouve des contresens qu'il eût été facile de corriger. Enfin, au lieu
de grouper les paragraphes d'une façon rationnelle d'après l'analogie des
matières et la liaison des idées, M. F. Creuzer les a laissés placés dans
l'ordre tout fortuite de leur découverte, tels qu'ils se trouvaient dans
Holstenius, en se contentant de rectifier les numéros des paragraphes (05). Nous avons maintenant à rendre compte de notre propre
travail. D'abord, pour la traduction, nous nous sommes appliqué à la
mettre en harmonie avec celle des Ennéades en rendant les termes
techniques avec la plus grande fidélité qu'il nous a été possible Les
pages que M. Ravaisson a consacrées à Porphyre dans son savant Essai
sur la Métaphysique d'Aristote (t. II, p. 467-476), et surtout
l'excellent travail de M. Vacherot sur ce même philosophe dans son
Histoire de l'École d'Alexandrie (t. II, p. 11-55), nous ont été
d'un grand secours. Nous avons en outre essayé de résoudre deux
questions importantes: 1° Quelle est l'origine et la destination des
Principes de ta théorie des intelligibles de Porphyre ? 2° Dans quel ordre
convient-il de disposer les fragments qui composent cet écrit ? 1.
Pour le premier point, nous trouvons dans la Vie de Ptotin (§ 24,
p. 32) des indications précieuses données par Porphyre lui-même sur la
nature du travail qu'il fit en revoyant et en publiant les
Ennéades: « Voilà, dit-il, comment nous avons
distribué en six Ennéades les cinquante-quatre livres de Plotin. Nous
avons ajouté à plusieurs d'entre eux des Commentaires sans suivre un ordre
régulier (Καταβεβλήμεθα καὶ εἴς τινα αὐτῶν ὑπομνήματα ἀτάκτως (06)), pour satisfaire quelques-uns de nos amis qui désiraient
avoir des éclaircissements sur certains points. Nous avons fait des
Sommaires (κεφάλαια) pour tous les livres, en suivant l'ordre dans lequel
ils ont été publiés, à l'exception du livre Du Beau, dont nous ne
connaissions pas l'époque. Du reste, nous avons rédigé non seulement des
sommaires séparés pour chaque livre, mais encore des Arguments
(ἐπιχειρήματα), qui sont compris dans le nombre des sommaires. De ce
passage, M. Fr. Creuzer a déduit que les Principes de la théorie des
intelligibles sont des débris soit des Commentaires, soit des
Sommaires et des Arguments composés par Porphyre. A l'appui
de son opinion, il dit qu'Olympiodore, dans son Commentaire sur le
Phédon (p. 82, B), cite une phrase du § XLIV, en ajoutant qu'elle se
trouve dans le Commentaire de Porphyre. En outre, il démontre que
le mot Ἀφορμαὶ est l'équivalent de ἐπιχειρήματα (07). Adoptant l'opinion de M. Fr. Creuzer sur l'origine des
Principes de la théorie des intelligibles, nous avons essayé d'en
démontrer la vérité par de nouvelles preuves. Nous les avons cherchées
dans le texte même que nous avions à traduire. En le comparant à celui de
Plotin, nous sommes parvenu non seulement à indiquer à quel livre des
Ennéades se rapporte chaque paragraphe de Porphyre (08), mais encore à signaler, dans les morceaux les plus
étendus et les plus importants, les phrases que notre auteur emprunte
littéralement à son maître pour les éclaircir et les commenter (09). Par ces recherches, qui seront complétées dans les
volumes suivants, s'il y a lieu, nous espérons avoir achevé un travail que
M. Fr. Creuzer n'avait qu'ébauché dans son Introduction (10) et qui était cependant nécessaire pour l'intelligence de
l'ouvre de Plotin aussi bien que pour celle de Porphyre. II. Les
explications précédentes nous dispensent de justifier longuement l'ordre
dans lequel nous avons rangé les 44 paragraphes qui composent les
Principes de la théorie des intelligibles. Puisque ces morceaux
étaient destinés soit à résumer, soit à expliquer la doctrine contenue
dans les Ennéades, le seul ordre qui fût rationnel consistait à les
disposer d'après le plan qui a été suivi par Porphyre lui-même pour
classer les livres auxquels ils se rapportent. C'est aussi celui que
nous avons adopté, en mettant en tête de ces fragments des titres propres
à en montrer la destination et à en faciliter l'intelligence. Pour
compléter cette introduction à l'étude des Ennéades, nous avons
ajouté aux Principes de la théorie des intelligibles d'autres
morceaux de Porphyre qui nous ont été conservés par Stobée et par
Némésius, ainsi que des fragments précieux d'Ammonius Saccas et de
Numénius, que nous avons extrait de Némésius et d'Eusèbe. Eub.
LÉVÊQUE.
1 Voici les titres des trois traités de
Porphyre dont les fragments sont traduits intégralement ci-après
:
Des Facultés de l'âme: 1° Des
parties et des facultés de l'âme.... p. LXXXVII; 2° De la
mémoire... p. LXII (note 3); De la Sensation.... p.
LXVII (note 1); Mélanges (Union de l'âme et du corps).... p.
LXXVII (note 1). Les autres traités de Porphyre qu'on trouvera cités ou
mentionnés dans ce volume sont: Lettre à Marcella.... p. LII
(note 3) ; Du précepte : Connais-toi toi-méme... p. LIV (note
3), LXXXVI, (note 1); De l'Abstinence des viandes.... p. LV
(note 1), 140 (note 3); Du Retour de l'âme à Dieu... p.
LXX (note ); Du Styx... p. LVII (note 4); De l'Antre des
Nymphes... p. LXVI (note 1), CVIII (note3), 542 (note 5). (Macrobe
a tiré de ce dernier traité le commencement du chapitre 12 du livre I de
son Commentaire sur le Songe de Scipion.)
PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES PAR PORPHYRE,
DISTRIBUÉS DANS L'ORDRE DES ENNÉADES.
PREMIÈRE ENNÉADE.
LIVRE DEUXIÈME.
DES VERTUS (11).
I. Autres sont les vertus du
citoyen, autres les vertus de l'homme qui tâche de s'élever à la
contemplation, et que, pour cette raison, on appelle esprit
contemplatif; autres encore sont les vertus de celui qui contemple
l'intelligence; autres enfin sont les vertus de l'intelligence pure, qui
est complètement séparée de l'âme. 1° Les vertus civiles (12) (ἀρεταὶ τοῦ πολιτικοῦ) consistent à être modéré dans ses
passions, et à suivre dans ses actions les lois rationnelles du
devoir (λογισμὸς τοῦ καθήκοντος). Le but de ces vertus étant de nous
rendre bienveillants dans notre commerce avec nos semblables, elles sont
appelées civiles parce qu'elles unissent les citoyens entre eux.
« La prudence se
rapporte à la partie raisonnable de notre âme; le courage, à la partie
irascible; la tempérance consiste dans l'accord et l'harmonie de la partie
concupiscible et de la raison; la justice enfin, dans l'accomplissement
par toutes ces facultés de la fonction propre à chacune d'elles, soit pour
commander, soit pour obéir (13). » 2° Les vertus de l'homme qui tâche de
s'élever à la contemplation consistent à se détacher des choses d'ici-bas:
aussi les appelle-t-on des purifications (καθάρσει) (14). Elles nous commandent de nous abstenir des actes qui
mettent en jeu les organes et des affections qui se rapportent au corps.
L'objet de ces vertus est d'élever l'âme à l'être véritable. Tandis que
les vertus civiles sont l'ornement de la vie mortelle et préparent aux
vertus purificatives, ces dernières commandent à l'homme
qu'elles embellissent de s'abstenir des actes dans lesquels le corps joue
le rôle principal. Aussi, dans les vertus purificatives, « la
prudence consiste à ne pas opiner avec le corps, mais à agir par
soi-même, ce qui est l'œuvre de la pensée pure; la tempérance, à ne
pas partager les passions du corps; le courage, à ne pas craindre
d'en être séparé, comme si la mort plongeait l'homme dans le vide et le
néant; la justice enfin exige que la raison et l'intelligence
commandent et soient obéies. » Les vertus civiles modèrent les passions :
elles ont pour but de nous apprendre à vivre conformément aux lois de la
nature humaine. Les vertus contemplatives arrachent de l'âme les
passions: elles ont pour but de rendre l'homme semblable à Dieu (15). Autre chose est se purifier, autre chose
être pur. Aussi les vertus purificatives (καθαρτικαὶ ἀρεταὶ)
peuvent, comme la purification elle-même, être considérées sous deux
points de vue : elles purifient l'âme, et elles ornent l'âme qui est
purifiée, parce que le but de la purification est la pureté. Mais,
« puisque la
purification et la pureté consistent à s'être séparé de toute chose
étrangère, le bien est autre chose que l'âme qui se purifie. Si l'âme qui
se purifie eût possédé le bien avant de perdre sa pureté, il lui suffirait
de se purifier; dans ce cas même, ce qui lui resterait après la
purification, ce serait le bien, et non la purification. Mais l'âme n'est
pas le bien ; elle peut seulement y participer, en avoir la forme; sinon,
elle ne serait pas tombée dans le mal. Le bien pour l'âme, c'est d'être
unie à son auteur; son mal, de s'unir aux choses inférieures (16). » Quant au mal, il y en a deux espèces :
l'une, c'est de s'unir aux choses inférieures ; l'autre, c'est de
s'abandonner aux passions. Les vertus civiles doivent leur nom de vertus
et leur prix à ce qu'elles affranchissent l'âme d'une de ces deux espèces
de mal [des passions]. Les vertus purificatives sont supérieures
aux premières, en ce qu'elles affranchissent l'âme de l'espèce de mal qui
lui est propre [de son union avec les choses inférieures] (17). Donc, quand l'âme est pure, il faut l'unir à son auteur :
sa vertu, après sa conversion, consiste dans la connaissance et la science
de l'être véritable; non que l'âme n'ait pas cette connaissance, mais
parce que, sans le principe qui lui est supérieur, sans l'intelligence,
elle ne voit pas ce qu'elle possède (18). 3° Il y a une troisième espèce de vertus, qui sont
supérieures aux vertus civiles et aux vertus purificatives, les vertus
de l'âme qui contemple l'intelligence (ἀρεταὶ τῆς ψυχῆς νοερῶς
ἐνεργούσης). « Ici la prudence et la sagesse consistent
à contempler les essences que contient l'intelligence; la justice est pour
l'âme de remplir sa fonction propre, c'est-à-dire de s'attacher à
l'intelligence et de diriger vers elle son activité; la tempérance est la
conversion intime de l'âme vers l'intelligence; le courage est
l'impassibilité, par laquelle l'âme devient semblable à ce qu'elle
contemple, puisque l'âme est impassible par sa nature (19). Ces vertus ont entre elles le même enchaînement que les
autres. » 4° Il y a une quatrième espèce de vertus, les vertus
exemplaires (ἀρεταὶ παραδειγματικαί), qui résident dans
l'intelligence. Elles ont sur les vertus de l'âme la supériorité qu'a le
type sur l'image : car l'intelligence contient à la fois toutes les
essences qui sont les types des choses inférieures. « Dans l'intelligence,
la prudence est la science ; la sagesse est la pensée; la
tempérance est la conversion vers soi-même; la justice est
l'accomplissement de sa fonction propre; le courage est l'identité
de l'intelligence, sa persévérance à rester pure, concentrée en elle-même,
en vertu de sa supériorité (20). » Il y a ainsi quatre espèces de vertus :
1° les vertus exemplaires, propres à l'intelligence, â l'essence de
laquelle elles appartiennent; 2° les vertus de l'âme tournée vers
l'intelligence et remplie de sa contemplation; 3° les vertus de l'âme qui
se purifie ou qui s'est purifiée des passions brutales propres au corps;
4° les vertus qui embellissent l'homme en renfermant dans d'étroites
limites l'action de la partie irraisonnable et en modérant les passions.
« Celui qui
possède les vertus de l'ordre supérieur possède nécessairement [en
puissance] les vertus inférieures. Mais la réciproque n'a pas » lieu [21] ». Celui qui possède les vertus supérieures
ne préférera pas se servir des vertus inférieures par cela seul qu'il les
possède; il les emploiera seulement quand les circonstances l'exigeront
(22). Les buts, en effet, diffèrent selon l'espèce des vertus.
Le but des vertus civiles est de modérer nos passions pour rendre
noire conduite conforme aux lois de la nature humaine; celui des vertus
purificatives, de détacher l'âme complètement des passions; celui des
vertus contemplatives, d'appliquer l'âme aux opérations intellectuelles,
au point de n'avoir plus besoin de songer à s'affranchir des passions ;
enfin, celui des vertus exemplaires a de l'analogie avec le but des
autres vertus. Ainsi, les vertus pratiques font l'homme vertueux ; les
vertus puriticatives, l'homme divin ou le bon démon; les vertus
contemplatives, le dieu; les vertus exemplaires, le Père des dieux. Nous
devons nous appliquer surtout aux vertus puriticatives, en songeant que
nous pouvons les acquérir dès cette vie, et que leur possession conduit
aux vertus supérieures. Il faut donc pousser aussi loin que possible la
purification, qui consiste à se séparer du corps et à s'affranchir de tout
mouvement passionné de la partie irrationnelle. Mais comment peut-on
purifier l'émet Jusqu'où peut aller la purification ? Voilà deux questions
que nous allons examiner. D'abord, le fondement et la base de la
purification, c'est de se connaître soi-même, de savoir qu'on est une âme
liée à un être étranger et d'essence différente (23). Ensuite, quand on est persuadé de cette vérité, il
faut se recueillir en soi-même en se détachant du corps et en
s'affranchissant complètement de ses passions. Celui qui se sert trop
souvent des sens, bien qu'il le fasse sans attachement et sans plaisir,
est distrait cependant par le soin du corps et y est enchaîné parla
sensibilité. Les douleurs et les plaisirs produits parles objets sensibles
exercent sur l'âme une grande influence et lui inspirent de l'inclination
pour le corps. Il est important d'ôter à l'âme une pareille disposition
(24) » Dans ce but,
manquent pages LVII et
LVII
DEUXIÈME ENNÉADE.
LIVRE QUATRIÈME.
DE LA MATIERE.
De la conception de la matière.
IV. (25) Nous engendrons par la pensée le non-être [la
matière] en nous séparant de l'être. Nous concevons aussi le
Non-être [l'Un] (26) en restant unis avec l'être. Par conséquent, si nous nous
séparons de l'être, nous ne concevons pas le Non-être qui est
au-dessus de l'être. [l'Un], mais nous engendrons par la pensée quelque
chose de mensonger, nous nous mettons dans l'état
[d'indétermination] dans lequel ou se trouve en sortant de
soi-même. De même que chacun peut réellement et par soi-même s'élever au
Non-être qui est au-dessus de l'être [à l'Un] ; de même [en
se séparant de l'être par la pensée], on arrive au non-être qui est
au-dessous de l'être.
TROISIÈME ENNÉADE.
LIVRE SIXIÈME.
DE L'IMPASSIBILITÉ DES CHOSES INCORPORELLES
(27).
De l'incorporel.
V. (28) Le nom d'incorporel ne désigne pas un seul et même
genre, comme le nom de corps. Les incorporels doivent leur nom à ce
qu'on les conçoit par abstraction du corps. Aussi, les uns [comme
l'intelligence et la raison discursive] sont des êtres véritables,
existent sans le corps comme avec lui, subsistent par eux-mêmes, sont par
eux-mêmes des actes et des vies; les autres (comme la matière, la forme
sensible sans la matière, le lieu, le temps, etc.] ne constituent pas des
êtres véritables, sont unis au corps et en dépendent, existent par autrui,
n'ont qu'une vie relative, ne subsistent que par certains actes. En effet,
en donnant à ces choses le nom d'incorporelles, on indique ce qu'elles ne
sont pas, on ne dit pas ce qu'elles sont.
De l'impassibilité de l'âme.
VI. (29) L'âme est une essence sans étendue, immatérielle,
incorruptible; son être consiste dans une vie qui est la vie elle
même.
VII. (30) Quand l'être d'une essence est la vie elle-même et que ses
passions sont des vies, sa mort consiste dans une vie d'une certaine
nature et non dans l'entière privation de la vie (31) : car la passion que cette essence éprouve par la mort ne
la conduit pas à la perte complète de la vie.
VIII. (32) Autre est la passion des corps, autre est la passion des
choses incorporelles. Pâtir pour les corps, c'est changer. Au contraire,
les affections et les passions propres à l'âme sont des actes qui n'ont
rien de commun avec le refroidissement ou l'échauffement des corps. Par
conséquent, si, pour les corps, la passion implique toujours un
changement, il faut dire que toutes les essences incorporelles sont
impassibles. En effet, les essences immatérielles et incorporelles sont
toujours identiques en actes (33). Quant aux essences qui touchent à la matière et aux
corps, elles sont impassibles en elles-mêmes, mais les sujets dans
lesquels elles résident pâtissent. Ainsi, quand l'animal sent, l'âme
ressemble à une harmonie séparée de son instrument, laquelle fait vibrer
d'elle-même les cordes mises à l'unisson; quant au corps, il ressemble à
une harmonie inséparable des cordes. La cause pour laquelle l'âme meut
l'être vivant, c'est qu'il est animé. II y a ainsi analogie entre l'âme et
le musicien qui fait produire des sons à son instrument parce qu'il a en
lui-même une puissance harmonique. Le corps frappé par l'impression
sensible ressemble à des cordes mises à l'unisson. Dans la production du
son, ce n'est pas l'harmonie elle-même qui pâtit, c'est la corde. Le
musicien la fait résonner parce qu'il a en lui-même une puissance
harmonique. Cependant, malgré la volonté du musicien, l'instrument ne
produirait pas d'accords conformes aux lois de la musique, si l'harmonie
elle-même ne les dictait.
IX. (34) L'âme se lie au corps en se tournant vers les passions
qu'il éprouve (ἐπιστροφὴ πρὸς τὰ πάθη). Elle se détache du corps en se
détournant de ses passions («ἀπαθεία) (35).
De l'impassibilité de ta
matière.
X. (36) Voici les propriétés de la matière d'après les Anciens : «
La matière est incorporelle, parce qu'elle diffère des corps. Elle est
sans vie, parce qu'elle n'est ni intelligence, ni âme, rien de ce qui vit
par soi. Elle est informe, variable, infinie, sans puissance; par
conséquent, elle n'est pas être, elle est non-être; elle n'est pas le
non-être de la manière dont le mouvement est le non-être; elle est
véritablement le non-être. Elle est une image et un fantôme de l'étendue,
parce qu'elle est le sujet premier de l'étendue. Elle est l'impuissance,
le désir de l'existence. Si elle persévère, ce n'est pas dans le repos
[c'est dans le changement]; elle paraît toujours renfermer en elle-même
les contraires, le grand et le petit, le moins et le plus, le défaut et
l'excès. Elle devient toujours, sans persévérer jamais dans son état ni
pouvoir en sortir. Elle est le manque de tout être; par conséquent elle
ment dans ce qu'elle paraît être : si, par exemple, elle paraît grande,
elle est petite; comme un vain fantôme, elle fuit et s'évanouit dans le
non-être, non par un changement de lieu, mais par le défaut de réalité. II
en résulte que les images qui sont dans la matière ont pour sujet une
image inférieure. C'est un miroir dans lequel les objets présentent des
apparences diverses selon leurs positions, un miroir qui semble
rempli quoiqu'il ne possède rien, et qui parait être toutes choses.
»
De la passibilité du corps.
XI. (37) Les passions se rapportent à ce qui est sujet â la
destruction : en effet, c'est la passion qui conduit à la destruction;
pâtir et être détruit appartiennent au même être. Les choses incorporelles
ne sont point sujettes à destruction : elles sont ou elles ne sont pas;
dans l'un et l'autre cas, elles sont impassibles. Ce qui pâtit ne doit pas
avoir cette nature impassible, mais être capable d'être altéré et détruit
par les qualités des choses qui s'y introduisent et le font pâtir : car ce
qui y subsiste n'est pas altéré par le premier objet venu. Il en résulte
que la matière est impassible : car elle n'a point de qualité par
elle-même. Les formes qui ont la matière pour sujet sont également
impassibles. Ce qui pâtit, c'est le composé de la forme et de la matière,
dont l'être consiste dans l'union de ces deux choses : car il est
évidemment soumis à l'action des puissances contraires et des qualités des
choses qui s'introduisent en lui et le font pâtir. C'est pourquoi les
êtres qui tiennent d'autrui l'existence, au lieu de la posséder par
eux-mêmes, peuvent également, en vertu de leur passivité, vivre ou ne pas
vivre. Au contraire, les êtres dont l'existence consiste dans une vie
impassible ont nécessairement une vie permanente; de même les choses qui
ne vivent pas sont également impassibles en tant qu'elles ne vivent pas.
Il en résulte que changer et pâtir ne conviennent qu'au composé de la
forme et de la matière, au corps, et non â la matière; de même, recevoir
la vie et la perdre, éprouver les passions qui en sont la conséquence,
appartiennent au composé de l'âme et du corps. Rien de pareil ne saurait
arriver à l'âme : car elle n'est pas une chose composée de vie et de
non-vie (ἀζωία); elle est la vie elle-même, parce que son essence est
simple, et qu'elle se meut elle-même.
LIVRE HUITIÈME.
DE LA NATURE, DE LA CONTEMPLATION ET DE
L'UN (38).
De la Pensée.
XII. (39) La pensée n'est pas la même partout : elle diffère suivant
la nature de chaque essence. Elle est intellectuelle dans l'intelligence,
rationnelle dans l'âme, séminale dans la plante ; elle constitue une
simple figure dans le corps; enfin, dans le principe qui surpasse toutes
ces choses, elle est supérieure à l'intelligence et à l'être.
De la Vie.
XIII. (40) Le mot corps n'est pas le seul qui se prenne dans
plusieurs sens; il en est de même du mot vie. Autre est la vie de
la plante, autre la vie de l'animal, autre la vie de lame, autre la vie de
l'intelligence, autre la vie du principe qui est supérieur à
l'intelligence. En effet, les intelligibles sont vivants quoique les
choses qui en procèdent ne possèdent pas une vie semblable à la
leur.
De l'Un.
XIV. (41) Par l'intelligence on dit beaucoup de choses du principe
qui est supérieur à l'intelligence [de l'Un] (42). Mais on en a l'intuition bien mieux par une absence de
pensée que par la pensée. Il en est de cette idée comme de celle du
sommeil, dont on parle jusqu'à un certain point à l'état de veille, mais
dont on n'acquiert la connaissance et la perception que par le sommeil. En
effet, le semblable n'est connu que par le semblable; la condition de
toute connaissance est que le sujet devienne semblable à l'objet (43).
QUATRIÈME ENNÉADE.
LIVRE DEUXIÈME.
DE L'ESSENCE DE L'ÂME (44).
XV. Tout corps est dans un lieu;
l'incorporel en soi n'est pas en un lieu, non plus que les choses qui ont
la même nature que lui.
XVI. L'incorporel en soi, par cela même
qu'il est supérieur à tout corps et à tout lieu, est présent partout sans
occuper d'étendue, d'une manière indivisible.
XVII. L'incorporel en soi, n'étant pas
présent au corps d'une manière locale, lui est présent quand il veut,
c'est-à-dire en inclinant vers lui, en tant que cela est dans sa nature.
N'étant pas présent au corps d'une manière locale, il lui est présent par
sa disposition.
XVIII. L'incorporel en soi ne devient pas
présent au corps en essence ni en substance. Il ne se mêle pas avec lui.
Cependant, par son inclination pour le corps, il engendre et il lui
communique une puissance de lui-même capable de s'unir avec le corps. En
effet, l'inclination de l'incorporel (ῥοπή) constitue une seconde nature
[l'âme irraisonnable], qui s'unit avec le corps.
XIX. (45) L'âme a une nature intermédiaire entre l'essence qui est
indivisible et l'essence qui est divisible par son union avec les corps:
l'intelligence est une essence absolument indivisible; les corps sont
seulement divisibles; mais les qualités et les formes engagées dans la
matière sont divisibles par leur union avec les corps.
XX. (46) Les choses qui agissent sur d'autres n'agissent point par
rapprochement et par contact (πελάσει καὶ ἁφῇ). Quand elles agissent par
rapprochement et par contact, ce n'est qu'accidentellement.
LIVRE TROISIÈME.
DOUTES SUR L'ÂME.
Union de l'âme et du corps (47).
XXI. (48) La substance corporelle n'empêche pas l'incorporel en soi
d'être où il veut et comme il veut : car, de même que l'inétendu ne peut
être contenu par le corps, de même la substance étendue ne fait point
obstacle à l'incorporel et est pour lui comme le non-être. L'incorporel ne
se transporte pas où il veut par un changement de lieu : car il n'y a que
la substance étendue qui occupe un lieu. L'incorporel n'est pas non plus
comprimé par le corps : car il n'y a que la substance étendue qui puisse
être comprimée et déplacée. Ce qui n'a ni étendue ni grandeur ne saurait
être arrêté par la substance étendue ni être exposé à un changement de
lieu. Étant partout et n'étant nulle part, l'incorporel, partout où il se
trouve, ne fait sentir sa présence que par une disposition d'une certaine
nature (διαθέσει ποιᾷ). C'est par cette disposition qu'il s'élève
au-dessus du ciel ou qu'il descend dans un coin du monde. Ce séjour même
ne le rend pas visible aux yeux. C'est seulement par ses œuvres qu'il
manifeste sa présence.
XXII. (49) Si l'incorporel est contenu dans le corps, il n'y est pas
renfermé comme une bête dans une ménagerie : car il ne peut être renfermé
ni embrassé par le corps. Il n'y est pas non plus comprimé comme de l'eau
ou de l'air dans une outre. Il produit des puissances qui du sein de son
unité (50) rayonnent au dehors : c'est par elles qu'il descend dans
le corps et qu'il le pénètre (51). C'est par cette ineffable extension de lui-même qu'il
vient dans le corps et qu'il s'y enferme. Rien ne l'y attache si ce n'est
lui-même. Ce n'est point le corps qui délie l'incorporel par suite d'une
lésion ou de sa corruption ; c'est l'incorporel qui se délie lui-même en
se détournant des passions du corps.
De la Descente de l'âme dans le corps et de
l'Esprit.
XXIII. (52) De même qu'être sur la terre, pour l'âme, ce n'est point
fouler le sol, comme le fait le corps, mais seulement présider au corps
qui foule la terre; de même, être dans les enfers, pour l'âme (53), c'est présider à une image dont la nature est d'être dans
un lieu et d'avoir une essence ténébreuse. C'est pourquoi, si l'enfer
placé sous la terre est un lieu ténébreux, l'âme, sans se séparer de
l'être, descend dans l'enfer quand elle s'attache une image. En effet,
quand l'âme quitte le corps solide auquel elle présidait, elle reste unie
à l'esprit (πνεῦμα) qu'elle a reçu des sphères célestes (54). Comme, par l'effet de son affection pour la matière, elle
a développé telle ou telle faculté en vertu de laquelle elle avait une
habitude sympathique pour tel ou tel corps pendant la vie (55), par suite de cette disposition, elle imprime une forme à
l'esprit par la puissance de son imagination, et elle s'attache ainsi une
image (56). On dit que l'âme est dans l'enfer parce que l'esprit qui
l'entoure se trouve avoir ainsi une nature informe et ténébreuse; et,
comme l'esprit pesant et humide descend jusqu'aux lieux souterrains, on
dit que l'âme descend sous terre; non que l'essence même de l'âme change
de lieu ou soit dans un lieu, mais parce qu'elle contracte les habitudes
des corps dont la nature est de changer de lieu et d'être dans un lieu.
C'est ce qui fait que l'âme, d'après sa disposition, s'adjoint tel corps
plutôt que tel autre (57) : car le rang et les qualités particulières du corps
dans lequel elle entre dépendent de sa disposition. Ainsi, à l'état de
pureté supérieure, elle s'unit à un corps voisin de la nature
immatérielle, à un corps éthéré. Lorsqu'elle descend du développement de
la raison à celui de l'imagination, elle reçoit un corps solaire. Si elle
s'effémine et se prend d'amour pour les formes, elle revêt un corps
lunaire. Enfin, quand elle tombe dans les corps terrestres, qui, étant en
analogie avec son caractère informe, se composent de vapeurs humides, il
en résulte pour elle une ignorante complète de l'être, une sorte d'éclipse
et une véritable enfance. Au sortir d'un corps terrestre, ayant son esprit
encore troublé par cet vapeurs humides, elle s'attache une ombre qui
l'appesantit (58) : car un esprit de cette sorte tend naturellement à
descendre dans les profondeurs de la terre à moins qu'Il ne soit retenu et
relevé par une cause supérieure. De même que l'âme est attachée à la terre
par son enveloppe terrestre; de même l'esprit humide, auquel elle est
unie, lui fait traîner après elle une Image qui la rend pesante. Or elle
s'entoure de vapeurs humides quand elle vient à se mêler à la nature dont
le travail est humide et souterrain. Mais si elle se sépare de la nature,
une lumière sèche, sans ombre et sans nuage, brille aussitôt autour
d'elle. En effet, c'est l'humidité qui forme les nuages dans l'air; la
sécheresse de l'atmosphère produit une clarté sèche et sereine.
LIVRE SIXIÈME.
DE LA SENSATION ET DE LA MÉMOIRE (59)
De la Sensation.
XXIV. (60) L'âme contient les raisons [essences] de toutes choses.
Elle opère selon ces raisons, qu'elle soit provoquée à l'acte par un objet
extérieur, ou qu'elle se tourne vers ces raisons en se repliant sur
elle-même (61). Quand elle est provoquée à l'acte par un objet extérieur,
elle y applique ses sens; quand elle se replie sur elle-même, elle
s'applique aux pensées. Il en résulte, dira-t-on peut-être, qu'il n'y a
pas de sensation ni de pensée sans imagination: car, de même que, dans la
partie animale, il n'y a pas de sensation sans une impression produite sur
les organes des sens; de même, il n'y a pas de pensée sans imagination.
Sans doute : il y a là analogie. De même que l'image sensible (τύπος)
résulte de l'impression éprouvée par la sensibilité (62); de même l'image intellectuelle (φάντασμα) résulte de la
pensée (63).
De la mémoire.
XXV. La mémoire ne consiste pas à garder
des images. C'est la faculté de reproduire les conceptions dont notre âme
s'est occupée (64).
CINQUIÈME ENNÉADE.
LIVRE DEUXIÈME.
DE LA GÉNÉRATION ET DE L'ORDRE DES CHOSES
QUI SONT APRÈS LE PREMIER (65).
De la Procession des êtres.
XXVI. Quand les substances incorporelles
descendent, elles se divisent, se multiplient, et leur puissance
s'affaiblit en s'appliquant à l'individuel. Quand elles montent, au
contraire, elles se simplifient, s'unifient et leur puissance
surabonde.
XXVII. Dans la vie des incorporels, la
procession (πρόοδος) s'opère de telle sorte que le principe
supérieur demeure ferme et inébranlable dans sa nature, qu'il donne de son
être à qui est au-dessous de lui, sans rien perdre et sans changer en
rien. Ainsi, ce qui reçoit l'être ne reçoit pas l'être avec une corruption
ou un changement; il n'est pas engendré comme la génération [l'être
sensible], qui participe de la corruption et du changement. Il est donc
non-engendré et incorruptible parce qu'il est produit sans génération ni
corruption.
XXVIII. Toute chose engendrée tient
d'autrui la cause de sa génération, puisque rien ne s'engendre sans cause.
Mais, parmi les choses engendrées, celles qui doivent leur être à une
réunion d'éléments sont par cela même périssables. Quant à celles qui,
n'étant pas composées, doivent leur être à la simplicité de leur
substance, elles sont impérissables, en tant qu'indissolubles; en disant
qu'elles sont engendrées, on n'entend pas qu'elles soient composées, mais
seulement qu'elles dépendent d'une cause. Ainsi les corps sont doublement
engendrés, d'abord comme dépendant d'une cause, ensuite comme composés.
L'âme et l'intelligence sont engendrées sous ce rapport qu'elles dépendent
d'une cause, mais non sous ce rapport qu'elles seraient composées. Donc
les corps, étant doublement engendrés, sont dissolubles et périssables.
L'âme et l'intelligence, n'étant pas engendrées sous ce rapport qu'elles
ne sont pas composées, sont indissolubles et impérissables: car elles ne
sont engendrées que sous ce rapport qu'elles dépendent d'une cause (66).
XXIX. Tout principe qui engendre en vertu
de son essence est supérieur au produit qu'il engendre. Tout être engendré
se tourne naturellement vers son principe générateur. Quant aux principes
générateurs, quelques-uns [les substances universelles et parfaites] ne se
tournent pas vers leur produit, d'autres [les substances particulières et
sujettes à incliner vers le multiple] se tournent en partie vers leur
produit et restent en partie tournés vers eux-mêmes, d'autres enfin se
tournent vers leur produit et ne se tournent pas vers
eux-mêmes.
Du Retour des êtres au Premier.
XLX. Des substances universelles et
parfaites, aucune ne se tourne vers son produit. Toutes les substances
parfaites se ramènent aux principes qui les ont engendrées. Le corps du
monde lui-même, par cela seul qu'il est parfait, se ramène à l'Âme
intelligente, et c'est pour cela que son mouvement est circulaire (67). L'Âme du monde se ramène à l'Intelligence, et
l'Intelligence au Premier (68). Tous les êtres aspirent donc au Premier, chacun dans la
mesure de son pouvoir, depuis celui qui occupe le dernier rang dans
l'univers. Ce retour des êtres au Premier (ἡ πρὸς τὸ πρῶτον ἀναγωγή) est
nécessaire, qu'il soit d'ailleurs médiat ou immédiat. Aussi peut-on dire
que les êtres n'aspirent pas seulement à Dieu, mais qu'ils en jouissent
encore chacun selon son pouvoir (69). Quant aux substances particulières et sujettes à incliner
vers le multiple, il est dans leur nature de se tourner non seulement vers
leur auteur, mais encore vers leur produit. C'est de cela que résulte leur
chute et leur infidélité. La matière les pervertit parce qu'elles peuvent
incliner vers elle, quoiqu'elles puissent aussi se tourner vers Dieu (70). Ainsi, la perfection fait naître des premiers principes
et tourne vers eux les êtres qui occupent le second rang. L'imperfection,
au contraire, tourne les choses supérieures vers les choses inférieures,
et leur inspire de l'amour pour ce qui s'est avant elles-mêmes éloigné des
premiers principes [pour la matière] (71).
LIVRE TROISIÈME.
DES HYPOSTASES QUI CONNAISSENT ET DU
PRINCIPE SUPÉRIEUR (72)
L'Intelligence se connaît par un retour sur
elle-même.
XXXI. (73) Quand un être subsiste par autrui, qu'il ne subsiste point
par lui-même en se séparant d'autrui, il ne saurait se tourner vers
lui-même pour se connaître en se séparant du sujet par lequel il subsiste
: car il s'altérerait et il périrait en se séparant de son être. Mais
quand un être se connaît lui-même en se séparant de celui auquel il est
uni, qu'il se saisit lui-même indépendamment de cet être, qu'il le fait
sans s'exposer à périr, il ne tient évidemment pas sa substance de l'être
dont il peut, sans périr, se séparer pour se tourner vers lui-même et pour
se connaître lui-même d'une manière indépendante. Si la vue, si la
sensibilité, en général, ne se sent point elle-même, ne se perçoit pas en
se séparant du corps, et ne subsiste point par elle-même; si
l'intelligence, au contraire, pense mieux en se séparant du corps, et se
tourne vers elle-même sans périr : il est clair que les facultés sensibles
ne passent à l'acte que par le secours du corps, tandis que l'intelligence
possède par elle-même, et non par le corps, l'acte et l'être.
L'acte de l'intelligence est éternel et
indivisible.
XXXII. (74) Autre chose est l'intelligence et l'intelligible, autre
chose le sens et le sensible. L'intelligible est uni à l'intelligence
comme le sensible l'est au sens. Mais le sens ne peut se percevoir
lui-même (75)... L'intelligible, étant uni à l'intelligence, est saisi
par l'intelligence et non par le sens. Mais l'intelligence est
intelligible pour l'intelligence. Si l'intelligence est intelligible pour
l'intelligence, l'intelligence est à elle-même son propre objet. Si
l'intelligence est intelligible et non sensible, elle est un objet
intelligible. Si elle est intelligible par l'intelligence, et non par le
sens, elle sera intelligente. Elle est donc à la fois ce qui pense et ce
qui est pensé, tout ce qui pense et tout ce qui est pensé. Elle n'agit pas
d'ailleurs à la manière d'un instrument qui frotte et qui est frotté :
« Elle n'est pas
dans une partie d'elle-même sujet, et dans une autre, objet de la pensée;
elle est simple, elle est tout entière intelligible pour elle-même tout
entières. (76) » L'intelligence tout entière exclut toute idée
d'inintelligence (ἀνοησία). II n'y a pas en elle une partie qui pense,
tandis que l'autre ne penserait pas: car alors, en tant qu'elle ne
penserait pas, « elle
serait inintelligente (ἀνόητος). » Elle n'abandonne pas un objet pour penser
à un autre : car elle cesserait de penser l'objet qu'elle abandonnerait.
Donc, si elle ne passe pas successivement d'un objet à un autre, elle
pense tout ensemble ; elle ne pense pas tantôt l'une, tantôt l'autre; elle
pense tout présentement et toujours (77)... Si l'intelligence pense tout présentement, s'il n'y
a pour elle ni passé ni futur, sa pensée est un acte simple, qui exclut
tout intervalle de temps. Ainsi tout y est ensemble, sous le rapport du
nombre aussi bien que sous le rapport du temps. L'intelligence pense donc
toutes choses selon l'unité et dans l'unité, sans que rien y tombe dans le
temps ou dans l'espace. S'il en est ainsi, l'intelligence ne discourt
point et n'est pas en mouvement [comme l'âme]; c'est un acte qui est selon
l'unité et dans l'unité, qui répugne au changement, au développement, à
toute opération discursive (78). Si, dans l'intelligence, la multitude est ramenée à
l'unité, si l'acte intellectuel est indivisible et ne tombe point dans le
temps, il est nécessaire d'attribuer à une pareille essence l'être éternel
dans l'unité. Or c'est là l'éternité (79). Donc l'éternité constitue l'essence même de
l'intelligence. Quant à cette intelligence d'autre espèce qui ne pense pas
selon l'unité et dans l'unité, qui tombe dans le changement et dans le
mouvement, qui abandonne un objet pour s'occuper d'un autre, qui se divise
et se livre à une action discursive (80), elle a pour essence le temps (81). La distinction du passé et du futur convient à son
mouvement. En passant d'un objet à un autre, l'âme change de pensées: non
que les premières périssent et que les secondes sortent subitement d'une
autre source ; mais celles-là, tout en semblant évanouies, demeurent dans
l'âme, et celles-ci, tout en paraissant venir d'ailleurs, n'en viennent
réellement point, mais naissent du sein même de l'âme qui ne se meut que
d'elle à elle, et qui porte son regard successivement sur telle ou telle
partie de ce qu'elle possède. Elle ressemble à une source qui, au lieu de
s'écouler au dehors, reflue circulairement en elle-même. C'est ce
mouvement de l'âme qui constitue le temps comme la permanence de
l'intelligence en elle-même constitue l'éternité. L'intelligence n'est
point séparée de l'éternité, comme l'âme ne l'est point du temps.
L'intelligence et l'éternité ne forment qu'une seule hypostase. Ce qui se
meut simule l'éternité par la perpétuité indéfinie de son mouvement, et ce
qui demeure immobile simule le temps en paraissant multiplier son
continuel présent mesure que le temps passe. C'est pourquoi quelques-uns
ont dit que le temps se manifestait dans le repos aussi bien que dans
le mouvement, et que l'éternité n'était que l'infinité du temps. Ils
transportaient ainsi à chacune de ces choses les attributs de
l'autre. C'est que ce qui persiste toujours dans un mouvement
identique figure l'éternité par la perpétuité de son mouvement, et que ce
qui persiste dans un acte identique figure le temps par la permanence de
son acte. Au reste, dans les choses sensibles, la durée diffère selon
chacune d'elles. Autre est la durée du cours du Soleil, autre la durée du
cours de la Lune, autre la durée du cours de Vénus, etc. ; autre est
l'année du Soleil, autre est l'année de chacun de ces astres; autre est
enfin l'année qui embrasse toutes les autres années et qui est conforme au
mouvement de l'Ame, sur lequel les astres règlent leurs mouvements. Comme
le mouvement de l'Âme diffère du mouvement des astres, son temps diffère
aussi du temps des astres: car les divisions de cette dernière espèce de
temps correspondent aux espaces parcourus par chaque astre et par des
passages successifs en divers lieux.
L'Intelligence est multiple.
XXXIII. (82) L'Intelligence n'est pas le principe de toutes choses :
car elle est multiple. Or le multiple suppose avant lui l'Un (83). Il est évident que l'intelligence est multiple : les
intelligibles qu'elle pense ne forment pas une unité, mais une multitude,
et ils sont identiques avec elle. Donc, puisque l'Intelligence et les
intelligibles sont identiques et que les intelligibles forment une
multitude, l'Intelligence elle-même est multiple (84). Quant à l'identité de l'intelligence et de
l'intelligible , voici comment on peut la démontrer. L'objet que
l'intelligence contemple doit être en elle ou exister hors d'elle. Il est
évident d'ailleurs que l'intelligence contemple (θεωρεῖ) : car pour elle,
penser (νοεῖν), c'est être intelligence (νοῦς) ; lui enlever la pensée,
c'est lui enlever son essence (85).- Ceci posé, il faut déterminer de quelle manière
l'intelligence contemple son objet. Nous y arriverons en examinant les
diverses facultés par lesquelles nous acquérons des connaissances : ce
sont la Sensation, l'Imagination, l'Intelligence. Le principe qui se
sert des Sens ne contemple qu'en saisissant des choses extérieures, et,
loin de s'unir aux objets de sa contemplation, il ne recueille de cette
perception qu'une image (86) Donc quand l'œil voit l'objet visible, il ne peut
s'identifier avec cet objet: car il ne le verrait pas s'il n'en était à
une certaine distance. De même, si l'objet du tact se confondait avec
l'organe qui le touche, il s'évanouirait. Il est donc évident que les
sens, et le principe qui se sert des sens, s'appliquent à ce qui est hors
d'eux pour percevoir l'objet sensible. De même, l'Imagination applique
son attention à ce qui est hors d'elle pour s'en former une image; c'est
par cette attention même à ce qui est hors d'elle qu'elle se représente
comme extérieur l'objet dont elle se forme l'image. Telle est la
manière dont la sensation et l'imagination perçoivent leurs objets. Aucune
de ces deux facultés ne se replie et ne se concentre sur elle-même, que
l'objet de leur perception soit une forme corporelle ou incorporelles (87). Ce n'est pas de cette manière que perçoit
l'Intelligence (88) : c'est en se tournant vers elle-même, en se contemplant
elle-même. Si elle sortait de la contemplation de ses propres actes, si
elle cessait d'en être l'intuition, elle ne penserait plus rien.
L'intelligence perçoit l'objet intelligible comme la sensation perçoit
l'objet sensible, par intuition. Mais, pour contempler l'objet sensible,
la sensation s'applique à ce qui est hors d'elle, parce que son objet est
matériel. Au contraire, pour contempler l'objet intelligible,
l'intelligence se concentre en elle-même au lieu de s'appliquer à ce qui
est hors d'elle. De là vient que quelques philosophes ont pensé qu'il n'y
avait entre l'intelligence et l'imagination qu'une différence nominale:
car ils croyaient que l'intelligence était l'imagination de l'animal
raisonnable; comme ils voulaient que tout dépendît de la matière et de la
nature corporelle, ils devaient naturellement en faire dépendre aussi
l'intelligence. Mais notre intelligence contemple d'autres essences que
les corps. Donc [dans l'hypothèse de ces philosophes] elle contemplera ces
essences placées dans quelque lieu. Mais ces essences sont hors de la
matière ; par conséquent, elles ne sauraient être dans un lieu. Il est
donc évident qu'il faut placer les intelligibles dans
l'intelligence. Si les intelligibles sont dans l'intelligence,
l'intelligence contemplera les intelligibles et se contemplera elle-même
en les contemplant; en se comprenant elle-même, elle pensera, parce
qu'elle comprendra les intelligibles. Or les intelligibles forment une
multitude (car l'intelligence pense une multitude d'intelligibles (89), et non une unité) ; donc elle est multiple. Mais le
multiple suppose avant lui l'Un; par conséquent, il est nécessaire
qu'au-dessus de l'Intelligence il y ait l'Un.
XXXIV. (90) La substance intellectuelle est composée de parties
semblables, de telle sorte que les essences existent à la fois dans
l'intelligence particulière et dans l'intelligence universelle. Mais, dans
l'intelligence universelle, les essences particulières elles-mêmes sont
conçues universellement; dans l'intelligence particulière, les essences
universelles sont, conçues particulièrement aussi bien que les essences
particulières.
SIXIÈME ENNÉADE.
LIVRE QUATRIÈME.
L'ÊTRE UN ET IDENTIQUE EST PARTOUT PRÉSENT
TOUT ENTIER (91).
De l'Incorporel.
XXXV. L'incorporel est ce que l'on conçoit
par abstraction du corps; c'est à cela qu'il doit son nom. A ce genre
appartiennent, selon les Anciens, la matière, la forme sensible, quand
elle est conçue séparée de la matière, les natures, les facultés, le lieu,
le temps, la surface. Toutes ces choses en effet sont appelées
incorporelles parce qu'elles ne sont pas des corps. Il est d'autres choses
qu'on appelle incorporelles par catachrèse, non parce qu'elles ne sont pas
des corps, mais parce qu'elles ne peuvent engendrer de corps. Ainsi,
l'incorporel de la première espèce subsiste dans le corps ; l'incorporel
de la seconde espèce est complètement séparé du corps et de l'incorporel
qui subsiste dans le corps. Le corps en effet occupe un lieu et la surface
n'existe pas hors du corps. Mais l'intelligence et la raison
Intellectuelle [la raison discursive] n'occupent pas de lieu, ne
subsistent pas dans le corps, ne constituent pas le corps, ne dépendent
point du corps ni d'aucune des choses qu'on appelle incorporelles par
abstraction du corps. D'un autre côté, si l'on conçoit le vide comme
incorporel, l'intelligence ne peut être dans le vide. Le vide en effet
peut recevoir un corps, mais il ne peut contenir l'acte de l'intelligence
ni servir de lieu à cet acte. Des deux espèces d'incorporel dont nous
venons de parler, les sectateurs de Zénon rejettent l'une [l'incorporel
qui existe hors du corps] et admettent l'autre [l'incorporel qu'on sépare
du corps par abstraction et qui n'a pas d'existence hors du corps] : ne
voyant pas que la première espèce d'incorporel n'est pas semblable à la
seconde, ils refusent à la première toute réalité; ils devraient cependant
reconnaitre que l'incorporel [qui subsiste hors du corps] est une autre
espèce [que l'incorporel qui ne subsiste pas hors du corps] , et ne pas
croire que, parce qu'une espèce d'incorporel n'a pas de réalité , l'autre
n'en a pas non plus (92).
Rapport de l'incorporel et du
corporel.
XXXVI. (93) Toute chose, si elle est quelque part, y est d'une manière
conforme à sa nature. Pour le corps qui se compose de matière et possède
un volume, être quelque part, c'est être dans un lieu. Aussi, le corps du
monde, étant matériel et possédant un volume, a de l'étendue et occupe un
lieu. Le monde intelligible au contraire, et en général l'être immatériel
et incorporel en soi, n'occupe point de lieu, en sorte que l'ubiquité (τὸ
εἶναι πανταχοῦ) de l'incorporel n'est pas une présence locale.
« Il n'a
pas une partie ici et une partie là (94) » : car de cette manière, il ne serait pas hors de tout
lieu ni sans étendue; « partout où il est, il est tout entier. Il
n'est pas présent ici et là absent : » car, de cette manière il serait contenu
dans tel lieu et exclu de tel autre. « Il n'est pas non plus voisin d'un
lieu ni éloigné d'un autre, » parce qu'il n'y a que les choses qui
occupent un lieu qui comportent des rapports de distance. Par conséquent,
le monde sensible est présent à l'intelligible dans l'espace; mais
l'intelligible est présent au monde sensible sans avoir de parties ni être
dans l'espace. Quand l'indivisible est présent dans le divisible, « il est
tout entier dans chaque partie, » identique et numériquement un. « Si l'être indivisible et simple devient
étendu et multiple, ce n'est que par rapport à l'être étendu et multiple
qui le possède, non tel qu'il est réellement, mais de la manière dont il
peut le posséder. » Quant à l'être étendu et multiple, il faut qu'il
devienne inétendu et simple dans son rapport avec l'être naturellement
étendu et simple pour jouir de sa présence. En d'autres termes, c'est
conformément à sa nature, sans se diviser, ni se multiplier, ni occuper de
lieu, que l'être intelligible est présent à l'être naturellement
divisible, multiple et contenu dans un lieu; mais c'est d'une manière
divisible, multiple, locale, que l'être qui occupe un lieu est présent
à «
l'être qui n'a
point de rapport avec l'espace. » Il faut donc, dans nos spéculations sur
l'être corporel et sur l'être incorporel, ne pas confondre leurs
caractères, conserver à chacun sa nature, et bien nous garder d'aller, par
imagination ou par opinion, attribuer à l'incorporel certaines qualités
des corps. Personne ne prête aux corps les caractères de l'incorporel,
parce que chacun vit, dans le commerce des corps; mais, comme on a peine à
connaître les essences incorporelles, on ne s'en forme que des conceptions
vagues et on ne peut les saisir tant qu'on se laisse guider par
l'imagination. II faut se dire à soi-même : l'être sensible occupe un lieu
et est hors de lui-même parce qu'il a un volume; « l'être intelligible
n'est pas dans un lieu, mais en lui-même, » parce qu'il n'a point de
volume. L'un est une copie, l'autre est un archétype; l'un tient l'être de
l'intelligible, l'autre le trouve en lui-même : car toute image est une
image de l'intelligence. II faut bien se rappeler les propriétés du
corporel et de l'incorporel pour ne point s'étonner qu'ils diffèrent
malgré leur union, s'il est permis de donner le nom d'union (σύνοδος) à
leur rapport : car il ne faut pas ici penser à l'union de substances
corporelles, mais à l'union de substances dont les propriétés sont
complètement incompatibles. Cette union diffère entièrement de celle des
substances qui ont la même essence : aussi n'est-elle ni un mélange, ni
une mixtion, ni une union véritable, ni une juxtaposition. Le rapport du
corporel et de l'incorporel s'établit d'une façon différente, qui se
manifeste dans la communication des substances de même nature, mais dont
aucune opération corporelle ne peut donner une idée (95): l'être incorporel est tout entier sans étendue dans
toutes les parties de l'être étendu, le nombre de ces parties fût-il
infini; « il est présent d'une façon indivisible,
sans faire correspondre chacune de ses parties à une des parties de l'être
étendu; » il ne devient pas multiple pour être
présent d'une manière multiple à une multitude de parties. Il est tout
entier dans toutes les parties de l'être étendu, dans chacune d'elles et
dans toute la masse, sans se diviser ni devenir multiple pour entrer en
rapport avec le multiple, enfin, en conservant son unité numérique (96). Ce n'est qu'aux êtres dont la puissance se disperse qu'il
appartient de posséder l'intelligible par parties et par fractions.
Souvent ces êtres, en s'écartant de leur nature, imitent par une apparence
trompeuse les êtres intelligibles, et nous hésitons à reconnaître leur
essence parce qu'ils semblent l'avoir changée contre l'essence
incorporelle.
L'incorporel n'a pas d'étendue.
XXXVII. (97) L'être réel n'est ni grand ni petit. La grandeur et la
petitesse sont les attributs de la masse corporelle. Par son identité et
son unité numérique, l'être réel n'est ni grand ni petit, ni très grand ni
très petit, quoiqu'il fasse participer à sa nature ce qu'il y a de plus
grand et de plus petit. Qu'on ne se le représente donc pas comme grand :
on ne saurait concevoir alors comment il peut se trouver dans le plus
petit espace sans être diminué ni resserré. Qu'on ne se le représente pas
comme petit: on ne comprendrait plus comment il peut être présent dans
tout un grand corps sans être augmenté ni étendu. Concevant à la fois
l'infiniment grand et l'infiniment petit, on doit se représenter, dans le
premier corps venu et dans une infinité d'autres corps de grandeur
différente, l'être réel conservant son identité et demeurant en lui-même :
car il est uni à l'étendue du monde sans s'étendre ni se diviser, et il
dépasse l'étendue du monde aussi bien que celle de ses parties en les
embrassant dans son unité. De même, le monde s'unit à l'être réel par
tontes ses parties, autant que le lui permet sa nature, et il ne peut
cependant l'embrasser tout entier ni contenir toute sa puissance. L'être
réel est infini et incompréhensible pour le monde parce que, entre autres
attributs, il possède celui de n'avoir aucune étendue.
XXXVIII. La grandeur du volume est une
cause d'infériorité pour un corps si, au lieu de le comparer aux choses de
même espèce, on le considère par rapport aux choses qui ont une essence
différente : car le volume est en quelque sorte une procession de l'être
hors de lui-même et un morcellement de sa puissance. Ce qui possède une
puissance supérieure est étranger à toute étendue : car la puissance
n'arrive à posséder toute sa plénitude qu'en se concentrant en elle-même;
elle a besoin de se fortifier pour acquérir toute son énergie. Aussi le
corps, en s'étendant dans l'espace, perd-il de sa force et s'éloigne-t-il
de la puissance qui appartient à l'être réel et incorporel; mais l'être
réel ne s'affaiblit pas dans l'étendue, parce que, n'ayant point
d'étendue, il conserve la grandeur de sa puissance. De même que l'être
réel n'a ni étendue ni volume par rapport au corps, de même l'être
corporel est faible et impuissant par rapport à l'être réel. L'être qui
possède la plus grande puissance n'occupe point d'étendue. Aussi, quoique
le monde remplisse l'espace, qu'il soit uni partout à l'être réel, il ne
saurait cependant embrasser la grandeur de sa puissance (98). Il est uni à l'être réel, non par parties, mais d'une
manière indivisible et indéfinie (99). Donc l'incorporel est présent au corps, non d'une manière
locale, mais par assimilation, en tant que le corps est capable
d'être rendu semblable à l'incorporel et que l'incorporel peut se
manifester en lui (100). L'incorporel n'est pas présent au matériel, en tant que
le matériel est incapable de s'assimiler à un principe complètement
immatériel; l'incorporel est présent au corporel, en tant que le corporel
peut s'assimiler à lui. L'incorporel n'est pas non plus présent au
matériel par réceptivité [eu ce sens qu'une des deux substances recevrait
quelque chose de l'autre]; autrement le matériel et l'immatériel seraient
altérés, le premier, en recevant l'immatériel, puisqu'il se transformerait
en lui, et le second, en devenant matériel. Donc, quand un rapport
s'établit entre deux substances aussi différentes que le corporel et
l'incorporel, il y a assimilation et participation réciproque à la
puissance de l'un et à l'impuissance de l'autre. C'est pourquoi le monde
reste toujours fort loin de la puissance de l'être réel, et celui-ci de
l'impuissance de l'être matériel. Mais ce qui tient le milieu, ce qui
assimile et est assimilé tout ensemble, ce qui unit les extrêmes, devient
une cause d'erreur à leur sujet, parce qu'il rapproche par l'assimilation
des substances tort différentes.
Rapport des âmes particulières avec l'Âme
universelle.
XXXIX. (101) « Il ne faut pas croire que la pluralité des âmes vienne
de ta pluralité des corps. Les âmes particulières subsistent aussi bien
que l'Âme universelle indépendamment des corps, sans que l'unité de l'Âme
universelle absorbe la multiplicité des âmes particulières, ni que la
multiplicité de celles-ci morcelle l'unité de celle-là (102). » Les âmes particulières sont distinctes sans être
séparées les unes des autres et sans diviser l'Âme universelle en une
foule de parties; elles sont unies les unes aux autres sans se confondre
et sans faire de l'Âme universelle un simple total: « car elles ne sont
pas séparées entre elles par des limites et elles ne se confondent pas les
unes avec les autres; « elles sont distinctes les unes des autres comme
les sciences diverses dans une seule âme. » Enfin, les âmes particulières
ne sont pas dans l'Âme universelle comme des corps, c'est-à-dire comme des
substances réellement différentes (103) ; ce sont des actes divers de l'Âme universelle (τῆς
ψυχῆς ποιαὶ ἐνέργειαι). En effet, « la puissance de l'Âme universelle est
infinie, » et tout ce qui participe à elle est âme; toutes les âmes
forment l'Âme universelle, et cependant l'Âme universelle existe
indépendamment de toutes les âmes particulières. De même qu'on n'arrive
point à l'incorporel en divisant les corps à l'infini, parce que cette
division ne les modifie que sous le rapport du volume ; de même, en
divisant à l'infini l'Âme, qui est l'Espèce virante (εἶδος ζωτικόν), on
n'arrive qu'il des espèces : car l'Âme contient des différences
spécifiques, et elle existe tout entière avec elles aussi bien que sans
elles. En effet, si l'Âme est divisée en elle-même, sa diversité ne
détruit pas son identité. Si l'unité des corps, où la diversité l'emporte
sur l'identité, n'est pas morcelée par leur union avec un principe
incorporel; si tous, au contraire, possèdent l'unité de substance et ne
sont divisés que par les qualités et les autres formes; que dire et que
penser de l'Espèce de la vie incorporelle, où l'identité l'emporte sur la
diversité, où il n'y a pas un sujet étranger à la forme et d'où les corps
reçoivent l'unité? L'unité de l'Âme ne saurait être morcelée per son union
avec un corps, quoique le corps entrave souvent ses opérations. Étant
identique, l'Âme fait et découvre tout par elle-même, parce que ses actes
sont des espèces, quelque loin que l'on pousse la division. Quand l'Âme
est séparée des corps, chacune de ses parties possède tous les pouvoirs
que possède l'Âme elle-même, comme une semence particulière a les mêmes
propriétés que la semence universelle. De même qu'une semence
particulière, étant unie à la matière, conserve les propriétés de la
semence universelle, et que, d'un autre côté, la semence universelle
possède toutes les propriétés des semences particulières dispersées dans
la matière; ainsi, les parties que l'on conçoit dans l'Âme séparée de la
matière possèdent toutes les puissances de l'Âme universelle (104). L'âme particulière, qui incline vers la matière, est
liée à la matière par la forme que sa disposition lui a fait choisir; mais
elle conserve les puissances de l'Âme universelle, et elle s'y unit quand
elle se détourne du corps pour se concentrer en elle-même. Or comme, en
inclinant vers la matière, l'âme est réduite à un dénuement complet par
l'épuisement total de ses facultés propres, comme au contraire, en
s'élevant vers l'intelligence, elle recouvre la plénitude des puissances
de l'Âme universelle , les anciens (105) ont eu raison de désigner, dans leur langage mystique,
ces deux états opposés de l'Âme sous les noms de Penia et de Poros (106).
LIVRE CINQUIÈME.
L'ÊTRE UN ET IDENTIQUE EST PARTOUT PRÉSENT
TOUT ENTIER (107)
L'être incorporel est tout entier en
tout.
XL.(108) Pour exprimer le mieux possible la nature propre de
l'être incorporel, les anciens (109) ne se contentent pas de dire : il est un: ils ajoutent
aussitôt : et tout, comme un objet sensible est un tout. Mais comme
cette unité de l'objet sensible contient une diversité (car dans l'objet
sensible l'unité totale n'est pas toutes choses en tant qu'elle est une et
que toutes choses constituent l'unité totale), les anciens ajoutent aussi
: en tant qu'un. Par là, ils veulent empêcher qu'on ne s'imagine un
tout de collection et indiquer que l'être réel n'est tout qu'eu vertu de
son unité indivisible. Après avoir dit: il est partout, ils
ajoutent : et nulle part. Enfin après avoir dit: il est en
tout, c'est-à-dire dans toutes les choses particulières qui ont la
disposition nécessaire pour le recevoir, ils ajoutent encore: tout
entier. Ils le représentent ainsi à la fois sous les attributs les
plus contraires, afin d'en écarter toutes les fausses imaginations qui
sont tirées de la nature des corps et qui ne peuvent qu'obscurcir la
véritable idée de l'être réel.
Différente de l'être intelligible et de
l'être sensible.
XLI. (110) Voici les caractères véritables de l'être sensible et
matériel : il est étendu, muable, toujours autre qu'il n'était, composé;
il ne subsiste point par lui-même, il occupe un lieu, il a un volume, etc.
Au contraire, l'être réel et subsistant par lui-même est édifié sur
lui-même et toujours identique ; il a l'identité pour essence; il est
essentiellement immuable, simple, indissoluble, sans étendue, hors de tout
lieu ; il ne naît ni ne périt, etc. Attachons-nous à ces caractères de
l'être sensible et de l'are véritable ; ne leur donnons pas et ne leur
laissons pas donner des attributs différents.
XLII. (111) L'être réel est dit multiple, sans qu'il soit
véritablement divers quant à l'espace, au volume, au nombre, à la figure
ou à l'étendue des parties; sa division est une diversité sans matière,
sans volume, sans multiplicité réelle. Aussi, l'être réel est un. Son
unité ne ressemble pas à celle d'un corps, d'un lieu, d'un volume, d'une
multitude. Il possède la diversité dans l'unité. Sa diversité implique à
la fois division et union : car elle n'est pas extérieure ni adventice ;
l'être réel n'est pas multiple par participation à une autre essence, mais
par lui-même. Il reste un en exerçant toutes ses puissances, parce qu'il
tient sa diversité de son identité même, et non d'un assemblage de parties
hétérogènes, comme les corps. Ces derniers possèdent l'unité dans la
diversité : car, en eux, c'est la diversité qui domine, l'unité est
extérieure et adventice. Dans l'être réel, au contraire, c'est l'unité qui
domine avec l'identité : la diversité est née du développement de la
puissance de l'unité. Aussi, l'être réel conserve son indivisibilité en se
multipliant; le corps conserve son volume et sa multiplicité en
s'unifiant. L'être réel est édifié sur lui-même, parce qu'il est un par
lui-même. Le corps n'est jamais fondé sur lui-même, parce qu'il ne
subsiste que par son extension. L'être réel est donc une unité féconde, et
le corps une multitude unifiée. Il faut donc déterminer avec exactitude
comment l'être réel est un et divers, comment le corps est multiple et un,
et ne pas donner à l'un les attributs de l'autre.
Dieu est partout et nulle part.
XLIll. (112) Dieu est partout parce qu'il n'est nulle part. Il en est
de même de l'Intelligence et de l'Âme. Mais, c'est par rapport à tous les
êtres qu'il surpasse que Dieu est partout et nulle part : sa présence et
son absence dépendent seulement de son être et de sa volonté (113). L'Intelligence est en Dieu, mais ce n'est que par
rapport aux choses qui viennent après elle qu'elle est partout et nulle
part. L'Âme est dans l'intelligence et en Dieu, mais c'est seulement par
rapport au corps qu'elle est partout et nulle part (114). Le corps est dans l'Âme et en Dieu. Toutes les choses
qui possèdent ou ne possèdent pas l'être procèdent de Dieu et sont en
Dieu; mais Dieu n'est aucune d'elles, ni dans aucune d'elles. Si Dieu
était seulement présent partout, il serait toutes choses et en toutes
choses ; mais, d'un autre côté, il n'est nulle part; tout est donc
engendré en lui et par lui, parce qu'il est partout, mais rien ne se
confond avec lui, parce qu'il n'est nulle part. De même, si l'Intelligence
est le principe des âmes et des choses qui viennent après les âmes, c'est
qu'elle est partout et nulle part ; c'est qu'elle n'est ni Âme, ni aucune
des choses qui viennent après l'Âme, ni dans aucune d'elles ; c'est
qu'elle est non-seulement partout, mais encore nulle part par rapport aux
êtres qui lui sont inférieurs. De même enfin l'Âme n'est ni un corps ni
dans le corps, mais seulement la cause du corps, parla raison qu'elle est
à la fois partout et nulle part dans le corps. Ainsi, il y a procession
(πρόοδος) dans l'univers [depuis ce qui est partout et nulle part] jusqu'à
ce qui ne peut être à la fois partout et nulle part et qui se borne à
participer de cette double propriété. L'âme humaine est unie par son
essence à l'Être universel.
XLIV. (115). « Lorsque vous avez conçu la puissance
inépuisable et infinie de l'Être en soi, et que vous commencez à entrevoir
sa nature incessante, infatigable, qui se suffit complètement à elle-même,
» qui a le privilège d'être la vie la plus
pure, de se posséder pleinement elle-même, d'être édifiée sur elle-même,
de ne désirer et de ne chercher rien en dehors d'elle, «
ne lui attribuez pas une
détermination locale » ou une relation : car, en vous bornant par
une considération de lieu ou de relation, vous ne bornez pas sans doute
l'Être en soi , mais vous vous en détournez en étendant sur votre pensée
le voile de l'imagination. « Vous ne pouvez dépasser, ni fixer, ni
déterminer, ni resserrer dans d'étroites limites la nature de l'Être en
soi, comme si elle n'avait plus rien à donner au-delà [de certaines
limites] et qu'elle s'épuisait peu à peu. » Elle est la source la plus intarissable
qu'on puisse concevoir. « Quand vous aurez atteint cette nature (116), et que vous serez devenu semblable à l'Être universel,
ne cherchez rien au delà. » Sinon, vous vous en éloignerez, vous
attacherez vos regards sur un autre objet. « Si vous ne cherchez rien au delà,
» si vous vous renfermez en vous- même et
dans votre propre essence, « vous deviendrez semblable à l'Être
universel et vous ne vous arrêterez à aucune des choses qui lui sont
inférieures. Ne dites pas : voilà ce que je suis. En oubliant ce que vous
êtes (117), vous deviendrez l'Être universel. Vous étiez déjà
l'Être universel, mais vous aviez quelque chose en outre ; vous étiez par
cela même inférieur, parce que ce que vous possédiez outre l'Être
universel venait du non-être. Â l'Être universel, on ne peut rien ajouter.
» Lorsqu'on lui ajoute quelque chose
d'emprunté au non-être, on tombe dans la pauvreté et dans un dénuement
complet. « Abandonnez donc le non-être, et vous
vous posséderez pleinement vous-même, [en sorte que vous aurez l'Être
universel en écartant tout le reste: car, tant qu'on est avec le reste,
l'Être ne se manifeste pas, n'accorde pas sa présence] (118). » On trouve l'Être, en écartant tout ce qui
le rabaisse et l'amoindrit, en cessant de le confondre avec des objets
inférieurs et de s'en faire une fausse idée. Sans cela, on s'éloigne à la
fois de l'Être et de soi-même. En effet, quand on est présent à soi-même,
on possède l'Être qui est présent partout; quand on s'éloigne de soi-même,
on s'éloigne aussi de lui. Telle est l'importance qu'il y a pour l'âme à
s'approcher de ce qui est en elle, et à s'éloigner de ce qui est hors
d'elle : car l'Être est en nous, et le non-être est hors de nous. Or
l'Être est présent en nous quand nous n'en sommes pas détournés par
d'autres choses. « Il n'approche pas de nous pour nous faire
jouir de sa présence. C'est nous qui nous écartons de lui, quand il ne
nous est pas présent. » Qu'y a t-il d'étonnant ? Pour être près de
l'Être, vous n'avez pas besoin d'être loin de vous-même : car, « vous êtes
à la fois loin de l'Être et près de lui, en ce sens que c'est vous qui
vous approchez de lui et qui vous en écartez, quand, au lieu de vous
considérer vous-même, vous considérez ce qui vous est étranger. » Si donc
vous êtes près de l'Être tout en étant loin de lui, si, par cela même vous
vous ignorez vous-même, si vous connaissez toutes les choses auxquelles
vous êtes présent et qui sont éloignées de vous plutôt que vous-même qui
êtes naturellement près de vous, qu'y a-t-il d'étonnant à ce que ce qui
n'est pas près de vous vous reste étranger, puisque vous vous en éloignez
en vous éloignant de vous-même? Quoique vous soyez toujours près de vous
même et que vous ne puissiez vous en éloigner, il faut que vous soyez
présent à vous-même pour jouir de la présence de l'Être dont vous êtes
substantiellement aussi inséparable que de vous-même. Par là, il vous est
donné de connaître ce qui se trouve près de l'Être et ce qui s'en trouve
loin, quoiqu'il soit lui-même présent partout et nulle part. Celui qui
peut pénétrer par la pensée dans sa propre substance et en acquérir ainsi
la connaissance se trouve lui-même dans cet acte de connaissance et de
conscience, où le sujet qui connaît est identique à l'objet qui est connu.
Or, en se possédant lui-même, il possède aussi l'Être. Celui qui sort de
lui-même pour s'attacher aux objets extérieurs, en s'éloignant de
lui-même, s'éloigne aussi de l'Être. II est dans notre nature de nous
établir au sein de nous-mêmes, où nous jouissons de toute la richesse de
notre propre fonds, et de ne pas nous détourner de nous-mêmes vers ce qui
nous est étranger et où nous ne trouvons que la plus complète pauvreté.
Sinon, nous nous éloignons de l'Être, quoiqu'il soit près de nous : car ce
n'est ni le lieu, ni la substance, ni un obstacle qui nous sépare de
l'Être; c'est notre conversion vers le non-être. Notre entraînement hors
de nous-mêmes et notre ignorance de nous-mêmes sont ainsi une juste
punition de notre éloignement de l'Être. Au contraire, l'amour que l'âme a
pour elle-même la conduit à se connaître et à s'unir à Dieu (119). Aussi a-t-on dit avec raison que l'homme est ici-bas
dans une prison parce qu'il s'est enfui du ciel (120):, et qu'il tache de rompre ses liens : car, en se
tournant vers les choses d'ici-bas, il s'est abandonné lui-même et s'est
écarté de sa divine origine; c'est, comme le dit [Empédocle], un
fugitif qui a déserté la patrie divine (121). Voilà pourquoi la vie de l'homme vicieux est une vie
servile, impie et injuste, son esprit (122) est plein d'impiété et d'injustice. La justice, au
contraire, consiste, comme on l'a dit avec raison, à ce que chacun
remplisse sa fonction (123). Rendre à chacun ce qui lui est dû, voilà l'image de
la véritable justice.
(01) Un manuscrit porte pour titre: Ἔφοδος εἰς τὰ νοητά,
Introduction à ta théorie des intelligibles. (02) Voy. Essai sur la Métaphysique d'Aristote,
t. II, p. 467. (03) Ce travail a été refait, d'une manière plus complète et
plus exacte, par le savant M. Val. Parisot : De Porphyrio tria
tmemata. Parisiis, 1845, in-8°. (04) Voici comment Holstenius s'exprime à ce sujet (p. 74) :
« Illum librum
nunc triplo auctiorem habes ex Vaticana bibliotheca, ubi hactenus
delituit. Sed ne sic quidem integrum esse arguunt ea quae Stobaeus in
Eclogas suas inde retulit et quae a me primae parti suo quaeque
loco inseruntur; quorum tamen pleraque in Lolino codice postea reperi.
» (05) Pour trouver à quels numéros correspondent dans notre
traduction les numéros que les 44 paragraphes de Porphyre portent dans
l'édition de Creuzer, et ceux qu'ils portaient dans l'édition
d'Holstenius, voyez le tableau placé en regard de cet avertissement, p.
XLVI. (06) Cette expression nous parait fort bien caractériser
l'absence de toute liaison qu'on remarque dans les Principes de la
théorie des intelligibles. (07) Proemium in Porphyrii Sententias, p. XXVII de
l'édition publiée par M. A.-F. Didot, et dont nous avons parlé plus haut.
(08) Voy. les notes placées au bas des pages de notre
traduction. (09) Ces phrases sont indiquées par des guillemets. (10) Proemium in Porphyrii sententias, p.
XXVIII-XXX. (11) Le § 1 est cité par Stobée, Florilegium, Tit. I,
p. 22-24, éd. Gesner. C'est un commentaire complet du livre II de
l'Ennéade I (Des Vertus), p. 52-62 de la traduction. Quant aux
éclaircissements relatifs au sujet qui est traité ici, Voy. les
Notes placées à la fin de ce volume, p. 397-403. (12) Voy. liv. II, § 1, p. 52. (13) Nous mettons entre guillemets les phrases où Porphyre
reproduit les termes mêmes de Plotin. (14) Voy. Enn. 1, Iiv II, § 3, p.55. (15) Porphyre dit dans sa Lettre à Marcella : « Le meilleur
culte que tu puisses rendre à Dieu, c'est de former ton âme à sa
ressemblance : car seule la vertu élève l'âme vers la patrie d'où elle est
issue. Il n'est rien de grand après Dieu que la vertu; mais Dieu est plus
grand que la vertu. Ce ne sont pas les discours du sage qui ont du prix
près de Dieu, mais ses œuvres... C'est l'homme lui-même, par ses propres
œuvres, qui se rend agréable à Dieu, qui se divinise en conformant son âme
à l'Être qui jouit d'une incorruptible béatitude. » Voy. M. Vacherol, Histoire de L'École
d'Alexandrie, t. II, p. 115. (16) Voy. Enn. I, liv. II, § 4, p. 56. (17) « Rechercher le bien-être du corps, c'est ne
point se connaître soi-même, c'est ne pas comprendre celte sage maxime que
ce qu'on voit de l'homme n'est pas l'homme même, et qu'il faut posséder
une sagesse supérieure qui enseigne à chacun à se connaître soi-même. Mais
il est plus difficile d'y parvenir quand on n'a point purifié son âme que
de regarder le soleil quand un a les yeux malades. Or, purifier l'âme,
pour tout dire en un mot, c'est dédaigner les plaisirs des sens.
» (S. Basile,
Homélie aux jeunes gens, § 9.) (18) Voy. Enn. I, liv. II, § 4, p. 57. (19) Ibid., § 6, p. 60. (20) Voy. ibid., § 7, p. 61. (21) Ibid., § 7, p. 61. (22) Ibid., § 7, p. 62. Voy. les Notes, p. 378. (23) Porphyre avait composé un long traité sur le précepte:
Connais-toi toi-même. Stobée nous a conservé des extraits des
livres I et IV dans son Florilegium, Tit. XXI, p. 184-186, éd.
Gesner. En voici un passage qui se rapporte parfaitement â notre texte :
«Comme en
descendant ici-bas nous sommes revêtus de l'homme extérieur et que
nous tombons dans l'erreur de croire que ce qu'on voit de nous est
nous-même, le précepte Connais-toi toi-même est fort propre à nous
faire connaître quelles facultés constituent notre essence... Platon a
raison de nous recommander dans le Philèbe de nous séparer de tout
ce qui nous entoure et nous est étranger, afin de nous connaître
nous-mêmes à fond, de savoir ce qu'est l'homme immortel et ce qu'est
l'homme extérieur, image du premier, et ce qui appartient à chacun d'eux.
A l'homme intérieur appartient l'intelligence parfaite; elle constitue
l'homme même, dont chacun de nous est l'image. A l'homme extérieur
appartient le corps avec les biens qui le concernent. Il faut savoir
quelles sont les facultés propres â chacun de ces deux hommes et quels
soins il convient d'accorder à chacun d'eux, pour ne pas préférer la
partie mortelle et terrestre à la partie immortelle, et devenir
ainsi un objet de rire et de pitié dans la tragédie et la comédie de celte
vie insensée, enfin pour ne pas prêter à la partie immortelle la bassesse
de la partie mortelle et devenir misérables et injustes par ignorance de
ce que nous devons à chacune de ces deux parties. » On retrouve les mêmes idées développées de
la manière la plus brillante dans l'homélie de saint Basile Sur le
précepte : Observe-toi toi-même. Saint Basile nous paraît ne pas
s'être inspiré seulement du Philèbe et du Phédon de Platon,
mais encore avoir beaucoup emprunté au traité de Porphyre. Voici un
passage extrait du § 3 de celte homélie : « Examine qui tu es et connais ta nature.
Sache que ton corps est mortel et ton âme immortelle; sache aussi qu'il y
a en nous deux vies, l'une propre au corps et passagère, l'autre
essentielle â l'âme et sans limite. Observe-toi toi-même, c'est-à-tire ne
t'attache pas aux choses mortelles comme si elles étaient immortelles, et
ne méprise pas les choses éternelles comme si elles étaient périssables.
Dédaigne la chair: car elle est périssable. Aie soin de ton âme : car elle
est immortelle. Observe-toi avec la plus grande attention, afin d'accorder
à la chair et à l'âme ce qui convient â chacune d'elles : à la chair, de
la nourriture et des vêtements ; à l'âme, des principes de piété, des
mœurs douces, la pratique de la vertu et la répression des passions.
» (24) Les réflexions qui précèdent se rapportent au § 5 de
Plotin, p. 58. Porphyre les a longuement développées dans le livre I de
son traité De L'Abstinence des viandes. Voy. M. Vacherin,
Histoire de l'Ecole d'Alexandrie, t. II, p. 63. (24a) manquent deux pages ainsi à un organisme qui
est en harmonie avec sa passion dominante et qui en est la punition. Par
conséquent, il faut se purifier au moment de la mort, comme
lorsqu'on est initié aux mystères, affranchir son âme de toute mauvaise
passion, en calmer les emportements, en bannir l'envie, la haine et la
colère, afin de posséder la sagesse quand on sort du corps. Le
véritable Mercure à la baguette d'or, c'est la Raison qui, nous montrant
clairement l'honnête, éloigne et préserve notre âme du breuvage de Circé
[de l'union avec le corps], ou, si l'âme boit ce breuvage, lui conserve du
moins aussi longtemps qu'il est possible la vie et les mœurs de la nature
humaine. » (25) Le § IV se rapporte au § 10 du livre IV de l'Ennéade II
(De la Matière), duquel il faut le rapprocher pour en comprendre le
sens. Voy. p. 208-210 de ce volume. (26) L'Un, la première des trois Hypostases divines, est
appelé le Non-être par Porphyre parce qu'il est supérieur à l'Etre et à
l'Intelligence (Enn. Il, liv. IX, § 1, p. 254-257). Sur le rapport
de l'Un et de la Matière, voy. Enn. II, liv. IV, § 15, p.
220-221. (27) Les § V-XI forment un commentaire du
livre VI de l'Ennéade III (De l'impassibilité des choses
incorporelles). (28) Le § V
se rapporte au commencement du § 6 du livre VI où Plotin dit « La matière est
incorporelle dans un autre sens que l'âme. » II est nécessaire de le rapprocher du §
XXXV qui expose les mêmes idées avec plus de développement. (29) Le § VI est le sommaire du § 1 du livre VI. (30) Le § VIII se rapporte à la fin du § 3 du livre VI. Il
est, ainsi que le § VIII et le § IX, cite par Stobée, Eclogae physicae, I,
52, p. 818 et 820, éd. Heeren. (31) La mort de l'âme selon les Néoplatoniciens consiste à
vivre dans un corps terrestre. Voy. les Notes, p. 384. (32) Le commencement du § VIII est le sommaire des § 2 et 3 du
livre VI. (33) Ce qui suit se rapporte au § 4. Porphyre a développé la
comparaison du musicien que Plotin indique brièvement à la fin du § 4.
(34) Le § IX est le sommaire du § 5 du livre VI. II est cité
par Stobée, Eclogae physicae, I, 52, p. 814. (35) Voy. les Notes, p. 380-385. (36) Le § X est un extrait du § 7 du livre VI. (37) Le § XI est le sommaire des § 8-19 du livre VI. (38) Les § XII-XIV sont un sommaire incomplet du livre VIII de
l'Ennéade III (De la Nature, de la Contemplation et de
l'Un). (39) Le § XII se rapporte principalement au § 1 du livre
VIII. (40) Le § XIII se rapporte principalement au § 7 du
livre VIII. (41) Le § XIV est le sommaire du § 8 du livre
VIII. (42) L'Un est la première des trois hypostases divines. Voy.
les Notes, p. 321. (43) Voy. Enn. I, liv. VIII, § 1, p. 116;
Enn. II, liv. IV, p. 208. (44) Les § XV-XIX sont le sommaire du § 1 du livre II de
l'Ennéade IV (De l'Essence de l'âme). (45) Le § XIX est cité par Stobée, Eclogae physicæ, I,
52, p. 814. (46) Le § XX se rapporte au commencement du § 2 du llvre II,
où Plotin prouve contre les Stoïciens que, dans la sensation, le corps
n'agit pas sur l'âme par transmission de proche en proche jusqu'au
principe dirigeant. On trouve encore la même idée dans le § 20 du livre
III, où Ptotin dit : « Si l'âme est dans un corps comme dans un
vase..., le corps approchera de l'âme par sa surface et non par
lui-même. » (47) Les § XXI-XXII se rapportent aux § 20-24 du livre III de
l'Ennéade IV (Doutes sur l'âme, I), dont un extrait est cité dans
les Notes. p. 356-360. (48) Le § XXI est le sommaire du § 20 du livre III. (49) Le § XXII est le sommaire des § XXI-XXIV du livre
III. (50) Il faut lire ἀπὸ τῆς πρὸς αὑτὸ ἐνώσεως (a sui cum
semetipso conjunctione) au lieu de πρὸς αὐτὸ (a sui cum corpore
conjunctione) que porte le texte d'Holstenius. La leçon qu'il donne est en
contradiction complète avec le sens général de ce passage. (51) Voy. ci-après § XXXVI, XXXVIII. (52) Le § XXIII est cité par Stobée, Eclogae physicae,
I, 52, p. 1038. Il se rapporte au § 9 du livre III de l'Ennéade IV
(Doutes sur l'âme, I), qui est cité et commenté dans les
Notes, p. 454. (53) Voy. les Notes, p. 384. (54) Voy. M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique
d'Aristote, t. II, p. 484. (55) Voy. p. LVII, note 4. (56) Voy. le passage de Dante cité dans les
Notes, p. 455. (57) Voy. le passage de Plotin cité dans les Notes, p.
388. Foy. encore p. LVII, note 3. (58) Dans son traité De l'Antre des Nymphes, Porphyre a
longuement développé ces idées. II paraît les avoir empruntées à Héraclite
dont il fait plusieurs citations remarquables dans le passage suivant:
« Les âmes qui
descendent dans la génération volent sur les vapeurs humides. De là vient
qui Héraclite dit : Ce qui plaît aux âmes humides, ce n'est pas de
mourir, c'est de tomber dans la génération. Ailleurs Héraclite dit
encore : Notre vie est la mort des âmes, et la mort des âmes est notre
vie.... Les âmes éprises d'amour pour les corps attirent un esprit
humide qui se condense comme un nuage. Ce sont en effet des vapeurs
condensées qui forment des nuages dans l'air. Quand l'esprit qui entoure
les âmes s'est condensé par l'abondance des vapeurs, ces âmes deviennent
visibles. De ce nombre sont les âmes qui, ayant souillé leur esprit,
apparaissent aux hommes sous la forme de spectres. Les âmes pures, au
contraire, ont de l'aversion pour la génération. C'est ce qui a fait dire
au même Héraclite : L'âme sèche est très sage. » (59) Les § XXIV et XXV sont un sommaire du livre VI de
l'Ennéade IV (De la Sensation, De la Mémoire). (60) Le § XXIV est cité par Stobée, Eclogae
physicae, I, 62, p. 816. Il se rapporte principalement à l'extrait du
livre VI qui est cité dans ce volume. p. 335, note 1. (61) La même idée se retrouve dans un passage de Porphyre, que
Némésius cite en ces termes : « Porphyre dit, dans son traité De la
Sensation, que la vision n'est produite ni par un cône, ni par une
image, ni par toute autre chose; mais que l'âme, mise en rapport avec les
objets visibles, reconnaît qu'elle est elle-même ces objets, parce qu'elle
contient tous les êtres, et que toutes choses ne sont que l'âme contenant
les différents êtres. En effet, puisque Porphyre prétend qu'il n'y a
qu'une seule espèce d'âme pour toutes choses, laquelle est l'âme
raisonnable, il a raison de dire que l'âme se reconnaît dans tous les
êtres. » (Némésius,
De la Nature de l'homme, chap. VII.) Sur ce point que, selon
Porphyre, toutes les âmes sont raisonnables, Voy. le même ouvrage de
Némésius, chap. I. (62) Voy. les Notes, p. 325. (63) Ibid., p. 338-341. (64) Cette définition de la mémoire est la reproduction de
celle que Plotin en donne: « Il ne faut pas oublier que la mémoire ne
consiste pas à garder des impressions, mais que c'est la faculté qu'a
l'âme de se rappeler et de se rendre présentes les choses qui ne lui sont
pas présentes. (Enn. III, liv. VI, § 2.) Il faut aussi rapprocher
du § XXV de Porphyre un fragment du même auteur qui appartient au traité
Des Facultés de l'âme : « De même que nous connaissons les autres
facultés de l'âme par leurs opérations, de même, en considérant la
mémoire, nous avons établi qu'elle consiste à se rappeler les choses qui
ont été perçues par les sens ou par la raison. La faculté de l'âme que
nous appelons mémoire, parce qu'elle consiste dans le rappel, est définie
par Aristote l'habitude de l'image, c'est-à-dire de la représentation
sensible dont est née l'image. En effet, quand une sensation arrive à
l'imagination, cette faculté éprouve alors une modification passive qui
est appelée image. Ainsi, quand la sensibilité se trouve mise en jeu
par la sensation, la représentation qui en naît dans l'imagination remplit
le rôle de portrait à l'égard de l'objet imaginé: car elle est en quelque
sorte le portrait de ce qui est tombé sous le sens. Quand l'imagination
est devenue l'habitude de l'image, elle est appelée mémoire. Cette faculté
appartient même aux animaux privés de raison. Mais l'imagination abstraite
ou réminiscence n'est accordée qu'aux êtres raisonnables. C'est pourquoi
Aristote dit que les brutes ont la mémoire, mais non la réminiscence, que
l'homme est le seul être qui possède ces deux facultés. » (Stobée,
Florilegium, Tit. XXV, p. 182, éd. Gesner.) Porphyre fait ici
allusion au traité De la Mémoire, où Aristote définit cette faculté
en ces termes : « La mémoire est l'habitude de l'image, en
tant qu'elle est le portrait de la chose dont elle est l'image.
» Voy. â ce
sujet M. Chauvet, Des théories de l'Entendement humain dans
l'antiquité, p. 337. Voy. aussi l'extrait du traité De l'âme
d'Aristote, qui est cité dans les Notes, p. 338-340. (65)Les § XXVI-XXX sont un commentaire du livre II de
l'Ennéade V (De la Génération et de d'Ordre des choses qui sont après
le Premier). (66) Le § XXVIII est cité par Stobée, Eclogae physicae,
I, 51, p. 778. (67) Voy. Enn. Il, liv. II, § 1, p. 159. (68) Le Premier, l'Intelligence et l'Âme du monde sont les
trois hypostases divines. Voy. p. 320. (69) « Tout astre, en quelque endroit qu'il se
trouve, est transporté de joie en embrassant Dieu; ce n'est point par
raison, mais par une nécessité naturelle. » (Enn II, liv. II, § 2,
p.163.) (70) Porphyre avait composé sur ce sujet le traité Du
Retour de l'âme à Dieu, qui est souvent cité par saint Augustin dans
le livre X de la Cité de Dieu. (71) Voy. p. LIV, note 4; p. LXXXVI. (72) Les § XXXII-XXXIV sont un commentaire du livre III de
l'Ennéade V (Des hypostases qui connaissent et du principe
supérieur). (73) Le § XXXI se rapporte principalement au § 1 du livre
III. (74) Le § XXXII se rapporte aux § 3, 5-7 du livre III. Nous
mettons entre guillemets les phrases empruntées â Plotin. (75) Il y a ici une lacune. (76) Voy. § 6 du livre III. (77) Il y a ici une seconde lacune. (78) Voy. § 3 du livre III. Sur la Raison discursive, Voy. p.
326, 340. (79) Voy. Enn III, liv. VII, § 2. (80) Cette seconde espèce d'intelligence est la Raison
discursive qui, selon Plotin, constitue l'essence même de l'âme. (81) Voy. Enn. III, liv. VII, § 1. (82) Le § XXXIII se rapporte aux §10-12 du livre III. II est
cité par Stobée, Eclogae physlcae, I, 51, p. 778. (83) L'Un est la première des trois Hypostases divines. Voy.
les Notes, p. 321. (84) Voy. la fin du § XXXIII. (85) Voy. § 6 du livre III. (86) Voy. § 2 du livre III. (87) Voy. § XXXl, p. LXX. (88) Voy. § 6-8 du livre III. (89) Voy. § 10-12 du Ilvre III. (90) Le § XXXIV se rapporte au § 5 du livre III. (91) Les § XXXV-XL sont un commentaire du livre IV de
l'Ennéade VI (L'être un et identique est partout présent tout
entier, I). (92) Voy. les § 25-30 du livre I de l'Ennéade VI (Des Genres
de l'être), où Plotin combat la doctrine des quatre catégories de Zénon
dont il est parlé p. 195 de ce volume, note 4. (93) Le § XXXVI est un commentaire des § 2, 3, 4 du livre IV.
Nous mettons entre guillemets les membres de phrase empruntés à Plotin.
(94) Voy. le § 3 du livre IV. (95) On retrouve les mêmes idées dans un passage de Porphyre
cité par Némésius : « Porphyre s'exprime ainsi dans le second
livre de ses Mélanges : Il est indubitable qu'une substance peut devenir
le complément d'une autre substance; qu'elle fait alors partie de cette
autre substance, tout en demeurant en elle-même après être devenue le
complément de cette substance; qu'après s'être unie avec elle, elle
conserve elle-même son unité. » Porphyre ajoute : « L'âme, sans être modifiée elle-même,
modifie selon son activité propre ce à quoi elle est unie. » (De la
Nature de l'homme, ch. III.) Il faut rapprocher aussi de ce passage le
fragment d'Ammonius cité plus loin, p. XCVI. (96) Voy. § 11, 12,13 du livre VI. (97) Le § XXXVII est un commentaire du § 5 du livre IV. (98) Voy. § 2 du livre IV. (99) Voy. § 3 du livre IV. (100) Voy § 12 du livre IV. (101) Le § XXXIX est un commentaire des § 4 et 9 du livre IV.
Il est cité par Stobée, Eclogae physicae, I, 52, p. 820. (102) Nous mettons entre guillemets les phrases qui se
trouvent textuellement dans Plotin, à la fin du § 4. (103) II faut mettre une virgule après ὡς τὰ σώματα, comme
l'a fait Creuzer, et ne pas unir ὡς τὰ σώματα à τῇ ψυχῇ, comme l'a
fait Holstenius, qui traduit : « Quemadmodum corpora subsistunt per animam.
» (104) Cette partie du § XXXIX se rapporte au § 9 du livre IV.
(105)
Cette phrase se rapporte au § 16 du livre IV. (106) Voy.
Enn. III, liv. v, § 7-9. (107) Les
§ XL-XLVI sont un commentaire du livre v de l'Ennéade VI (L'être un
et identique est partout présent tout entier, II). (108) Le §
XL est un commentaire du § 1 du livre v. (109)
Porphyre paraît faire ici allusion à la doctrine de Paménide, que Plotin
cite à ce sujet dans le § 4 du livre IV. (110) Le § XLI est un commentaire du § 2 du livre V. II est
cité par Stobée, Eclogae physicae, I, 43, p. 716. (111) Le § suiv se rapporte aux § 3 et 6 du livre V. (112)
Le § XLIII est un commentaire du § 4 du livre V. (113) Voy. Enn. VI, liv. VIII, § 4. (114) Cette phrase est mal ponctuée dans le texte et dans la
traduction latine. II faut mettre la virgule avant πανταχοῦ : Anima in
Mente et in Deo, ubique et nusquam in corpore. (115) Le § XLIV est un commentaire du § 12 du livre V. Nous
mettons entre guillemets les phrases qui reproduisent le leste de Plotin à
peu près dans les mêmes termes. (116) On voit par le texte de Plotin qu'il faut retrancher la
négation qui se trouve dans Porphyre. (117) II faut également retrancher la négation dans ce membre
de phrase. (118) II y a ici dans Porphyre une lacune que nous suppléons
à l'aide du texte de Plotin. (119) « Le zèle que nous mettons à accomplir le
précepte Connais-toi toi-même nous conduit au véritable bonheur, dont les
conditions sont l'amour de la sagesse, la contemplation du Bien qui est la
source de la sagesse, enfin la connaissance des êtres qui existent
réellement. » (Porphyre, Du précepte Connais-toi
toi-même; fragment cité par Stobée, Florilegium, Tit. XXI, p.
185, éd. Gesner.) (120) Il y a ici dans le texte de Porphyre une lacune de
quelques mots: καὶ ὀρθῶς εἴρηται ὡς ἔν τινι φρουρᾷ… ἀποδιδράσκοντα.
Hostenius propose de suppléer ainsi cette lacune: « Quapropter recte dictum fuit veluti in
quodam carcere inclusum animum in corpore, et vinculis istic adstrictum
teneri, ut solent mancipia fugitiva. » En comparant cette phrase de Porphyre au
passage du Phédon de Platon auquel elle fait allusion, et dont on
trouvera la traduction dans les Notes de ce volume (p. 440, nous
croyons qu'il faut suppléer ἄνθρωπον θεόθεν ἀποδιδράσκοντα : car Porphyre
dit ensuite ἑαυτὸν θεῖον ὄντα καταλελειπότος, et il est plus naturel de
sous-entendre ἀνθρώπου que δούλου pour expliquer καταλελειπότος. Voy.
encore à ce sujet le § 1 du livre VIII de l'Ennéade IV. (121) C'est une expression empruntée à Empédocle, comme on le
voit par le § I du livre VIII de l'Ennéade IV, où Plotin cite ce passage
d'Empédocle d'une manière plus complète. (122) Sur l'esprit, πνεῦμα , Voy. plus haut, p. LXV. (123) Au lieu de ἰδιοπραγία nous lisons οἰκειοπραγία.
Porphyre a dit ci-dessus que la justice consiste dans l'accomplissement
par toutes les facultés de la fonction propre à chacune d'elles (p. III)
et que le propre de l'injustice est de ne pas accorder à l'âme et au corps
ce qui convient à chacun d'eux (p. LIV, note
4).
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